Rivemorte, Chap.109

Publié le par Blanche

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Le gamin a le bon goût de paraître contrit. Elland s'en veut un peu, de cette remontrance, car c'est l'un des qualificatif qui lui vient à l'esprit quand il pense à ce que lui a fait subir cet homme. Les autres qualificatifs étant encore moins à prononcer devant un enfant. D'un geste, il lui fait signe de poursuivre.

- Je m'a réveillé dans un lit qui sentait mauvais. Avec un mal de tête, je te dis pas !
- Ils t'ont fait mal ?
- Ben pas vraiment. Ils m'ont dit qu'ils le feraient si je leur obéissais pas. Alors j'ai préféré obéir, tu vois, parce que j'avais pas très envie qu'ils me font mal.
- Fassent.
- Si tu veux. Et pis, c'est là que Maelenn est arrivée.

Les yeux d'Elland se rivent immédiatement sur la drapière, qui rougit à nouveau. La drapière. Maelenn. Ils cherchaient la même femme. Devant son regard interrogatif, elle lui raconte :

- Ça faisait déjà plusieurs semaines que j'étais là-bas. Quand j'ai su que Ménandre avait été amené dans la tour, je me suis débrouillée pour avoir à m'occuper de lui. Les gardes préféraient, quand on s'occupait des derniers arrivés. Et j'ai fait en sorte qu'ils ne le touchent pas.
- Mais vous n'êtes pas mage ? Vous êtes drapière.

Elle explose d'un rire cristallin qui fait instantanément rougir Elland. Et qui agit aussi sûrement qu'un baume de Théoliste. Voyant son malaise, elle se reprend et poursuit avec un sourire espiègle :

- L'un n'empêche pas l'autre, jeune homme.
- Vous avez vraiment des pouvoirs ?

Elle acquiesce doucement. D'un mouvement du menton, elle lui montre une bassine, tout près de la rivière. Les torches permettent de voir le battoir et le pain de savon qui s'affairent sur un linge aux teintes carmines. Sorcellerie ! Pourtant, depuis qu'il a mis les pieds dans la Grand Tour Célestis, plus rien ne devrait l'étonner. Devant l'air stupéfait d'Elland, Ménandre rit à gorge déployée, attirant l'attention des autres blessés. Ils attirent même l'attention de Pèire qui arrive, les bras chargés d'un plateau. Elland se redresse un peu, essayant de reprendre contenance. S'il ne ressent aucune douleur, il est toujours un peu déphasé et a du mal à saisir ce qu'il se passe. Et Pèire le comprend d'un regard. Il dépose le plateau et leur propose des bols de ragoût. Si l'apparence n'est guère plus appétissante que l'odeur qui s'en dégage, personne ne tord le nez. Ils sont affamés. Ils se jettent donc sur la nourriture et la dévorent en silence. Ménandre jette des regards à la ronde, tandis qu'Elland, lui, observe Maelenn à la dérobée. Ce n'est qu'une fois l'estomac rempli qu'Elland se souvient de son savoir-vivre et qu'il demande à Pèire :

- Tu vas bien ? Et les autres ?
- Je vais bien, oui. Quelques égratignures, mais rien que Théoliste ne puisse soigner. Thémus se repose, on a presque dû l'assommer pour qu'il ferme enfin les yeux. Ses blessures sont plus sérieuses, mais il ne voulait pas nous laisser à la merci des soldats. Jehanne se repose aussi : elle n'a pas été touchée, mais elle est épuisée. Osvan n'a toujours pas repris connaissance et je crois bien que ça inquiète Théoliste.
- Et Anthelme ?
- Toujours inconscient. Un coup à la tempe peut être très dangereux.

Les regards se perdent dans le fond des bols. Dire l'angoisse de Théoliste serait inutile. Et ils ne peuvent rien faire pour guérir Anthelme. Alors Elland essaie de changer de sujet.

- Maelenn et Ménandre m'expliquait comment ils s'étaient retrouvés. Même si je ne sais toujours pas ce qu'ils font ici.

Pèire esquisse un sourire amusé et la drapière, de bonne grâce, poursuit son récit :

- J'ai donc pris Ménandre sous mon aile. J'aurais préféré qu'il ne se retrouve jamais dans cette tour et qu'il reste libre, mais puisqu'il y était, autant le protéger.
- Mais je ne comprends pas pourquoi ils ont enfermé le gamin dans la tour. Je veux dire, on les gênait, clairement, à fouiller Rivemorte à votre recherche. Ils ont essayé de se débarrasser de moi alors pourquoi avoir enlevé Ménandre et l'avoir gardé …

Il s'interrompt soudain, réalisant ce qu'il est en train de dire. S'il est évident que personne, autour du lit improvisé, ne souhaite la mort du gamin, s'étonner de le voir vivant lui semble … inconvenant. Déplacé. Un coup à attirer le mauvais oeil. Mais Ménandre, dans ce qu'il lui reste de candeur, répond d'une voix enjouée :

- Ben c'est ce que je me suis dit aussi. J'ai bien cru qu'ils allaient m'occire. Mais non. Je crois bien que le coquin a paniqué. Z'étaient pas contents, de le voir revenir avec un colis supplémentaire à la tour. Pis y'a un drôle de messire qu'est venu. Il m'a regardé sous toutes les coutures. Et il a dit que ma place était à la tour.

Elland jette un regard alarmé à Maelenn, qui lui adresse un sourire désolé. Un mouvement attire l'oeil d'Elland, qui assiste, interdit, à la lévitation d'une feuille. Si les premiers centimètres sont plutôt chaotiques, Ménandre parvient à la stabiliser et à lui imprimer un mouvement fluide jusqu'à ce qu'elle chatouille le bout du nez du convalescent, le faisant à la fois loucher et éternuer. L'éclat de rire du gamin est tout simplement machiavélique et lui donne des sueurs froides. Ménandre a toujours été doué pour arranger la vérité à son avantage et pour monter des coups en douce. S'il est à présent capable de ce prodige...
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