Rivemorte, Chap.117

Publié le par Blanche

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C'est dans un silence lourd qu'ils quittent la prison. La justice fera son oeuvre, tôt ou tard. Mais chacun ressasse les aveux de Tanorède et les implications de ses actes. Jusqu'à ce qu'un coup de coude dans les côtes fasse glapir Elland de douleur. Pas vraiment discret, Ménandre, l'auteur du coup, désigne d'un mouvement du menton un étal présentant de magnifiques brioches.

- N'oublie pas ta promesse, Elland.

Il lui faut quelques longues minutes pour comprendre la phrase du gamin. Ce qui lui semble être des semaines, des mois auparavant, il lui avait promis d'aller voir Maelenn et de lui offrir une brioche. Ils l'ont retrouvé. Ne manque plus que la brioche. Et malgré tous les évènements de la nuit, la vie continue et les artisans se sont mis au travail, comme d'habitude. Se révolter est une chose, se priver de nourriture en est une autre. Elland s'avance d'un pas décidé vers l'étal et achète trois belles brioches. Sa chemise à poche, raidie de crasse, trouée, tâchée de sang, recèle encore suffisamment de pièces pour honorer sa promesse. S'il tend une brioche avec une pointe d'agacement à Ménandre, c'est les joues roses, la main légèrement tremblante, qu'il fait de même avec la jeune drapière. Et son sourire, quand elle l'accepte, est comme l'envol d'une gargouille. C'est l'esprit ailleurs et en grignotant qu'ils regagnent lentement l'atelier.

L'aube s'est levée et expose, avec toute la force des rayons du soleil, les dégâts de la veille. La vie reprend son cours, les valides soignent les blessés, les personnes indemnes, avec la force de l'habitude, font tourner cette grande roue qu'est la vie. Des volontaires ramassent les innombrables objets abandonnés, souvent des armes de fortune, des vêtements ou des chaussures que la frénésie de la veille a rendu bien dérisoires. D'autres nettoient le sang qui macule les pavés, attirant déjà les mouches et les rats.

Alors qu'ils traversent la place du marché, où gisent encore de nombreux blessés, ils s'arrêtent prendre des nouvelles de Théoliste. Le médecin, épuisé, couvert de sang, les salue d'un sourire. Il a encore beaucoup à faire et n'a guère le temps de s'arrêter. Mais il leur désigne, d'un geste de la tête, l'Hermine Affamée. Sur le toit, fièrement posée à la vue de tous, Echidna toise la ville de toute sa hauteur, comme maîtresse des lieux. Et elle a beau être figée par les rayons du soleil, elle resplendit et fait retentir dans le cœur d'Elland de furieux battements. Devant la porte se tient une silhouette parfaitement reconnaissable : Pèire.

Intrigués, ils s'approchent rapidement et comprennent vite la raison de sa présence. Thémus, assuré que la révolte était terminée, a envoyé des hommes chercher ceux qui restaient dans la clairière. Ils sont tous là, les blessés, les épuisés, Osvan, Anthelme, Jehanne. De retour dans leur ville.

Thémus a tout prévu. Grâce aux biens retrouvés dans les riches demeures et dans les palais, il offre la possibilité aux mages qui veulent quitter Rivemorte un paquetage, avec vivres, vêtements et pécule. Les blessés pourront partir, s'ils le souhaitent, dès qu'ils seront rétablis.

Dans l'effervescence de cette nuit hors du commun, les décisions se prennent rapidement. Beaucoup de mages, un ballot dans les bras ou sur le dos, font leurs adieux. Pèire, suivi comme une ombre par Jehanne, s'affaire lui aussi à empaqueter ses affaires. La gorge nouée, Elland le regarde se préparer au départ et serre la main de Ménandre, comme pour l'empêcher de quitter la ville à son tour.
Maelenn s'est éloignée et salue les mages qu'elle a côtoyé dans la tour. Elle va partir, elle aussi, rester avec les siens et se reconstruire une vie. S'il veut la garder auprès de lui, c'est le moment. Le moment d'affronter sa peur d'être rejeté, sa peur d'être ridiculisé. Affronter aussi cette petite voix qui lui susurre à l'oreille qu'il n'a rien à lui offrir qui pourrait la rendre heureuse. C'est le moment de prendre l'inspiration qui changera sa vie. Ou pas.


FIN
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