Rivemorte, Chap.80

Publié le par Blanche

lune

 

 

Elland, penaud, ne peut que secouer la tête dans un signe de dénégation. Comment pourrait-il comprendre ? C'est une femme aux pouvoirs puissants et bien réels. Mais de là à deviner son rôle exact...
Pèire hoche doucement la tête, s'approche du voleur et lui murmure :

- C'est elle a qui donné vie à la toute première gargouille. C'est elle qui les a créées.
- Mais …
- Ne la laissons pas seule plus longtemps. Nous lui poserons toutes nos questions.

Elland ne peut qu'acquiescer. Leur aparté a duré plus longtemps que les règles de politesses ne le permettent. Pèire s'empare de deux assiettes qu'il remplit d'un restant de ragoût au fumet alléchant, sans doute ayant conscience des grognements désespérés de l'estomac d'Elland, puis retourne dans la salle principale, suivi de près par le voleur. Jehanne s'est levée, et fait les cent pas entre les tables, marmonnant sans cesse. Elle s'immobilise en les entendant revenir et son regard se braque sur les assiettes pleines.

- A manger ! Faim ! Trompée … trompée dans les ingrédients. Tu sais faire à manger, Pèire ?
- Oui, un peu.

Le regard de cette femme, qu'Elland a trop longtemps sous-estimée, s'illumine d'une joie indicible. Elle s'approche aussitôt du comptoir, et comme deux chatons qui trépignent autour d'un bol de lait qu'apporte leur maître, ils attendent impatiemment que Pèire leur donne un dîner digne de ce nom.

Le tavernier leur laisse le temps de manger, les regardant en silence, sans doute accaparé par bon nombre de questions. Puis, alors que les deux invités mangent de bon cœur, il explique à l'intention d'Elland :


- Avant mon père, c'était déjà mon grand-père et son père qui s'occupaient des gargouilles. Leur origine, cependant, est restée un secret, emporté dans la tombe de mon arrière-grand-père. La seule chose qu'il nous a transmis, au fil des générations, c'est la capacité de communiquer avec toutes les gargouilles. Nous sommes devenus leurs gardiens, leurs protecteurs.

Elland l'écoute sans broncher, occupé à dévorer son ragoût. Un détail pourtant l'intrigue, et il demande, la bouche à moitié pleine :

- Mais c'était il y a très très longtemps ?
- Oui, la magie était encore présente à Rivemorte. C'était il y a des dizaines et des dizaines d'années.

Surpris, Elland regarde fixement Jehanne, qui mange comme si de rien n'était. A la voir, on lui donnerait une quarantaine d'années, tout au plus. Quel âge a-t-elle, alors, si c'est elle qui a créé les gargouilles ? Les assiettes sont vides, désormais, et les mangeurs ont raclé jusqu'à la dernière miette pour ne rien perdre tant c'était délicieux. Pèire, alors, d'une voix encourageante, demande :

- Pourriez-vous nous expliquer, Jehanne ?
- Expliquer... toujours expliquer. Expliquer quoi ?
- Comment avez-vous fait pour donner vie aux gargouilles ?
- Compliqué... c'est si compliqué... C'était... il y a très longtemps. Les gargouilles veillent, scrutent la ville... silencieuses, fortes, belles. Si belles...

Elle joue machinalement avec ses couverts, répétant sans répit à quel point les gargouilles sont belles. Pèire et Elland se jettent un rapide coup d'œil, avant que le tavernier, d'un mot, ne l'encourage à poursuivre.


- Les herbes. J'avais de nombreuses herbes. Beaucoup. Pour soigner les gens. Pour les accouchements difficiles. Et pour les enfants malades aussi. Et pour les blessures aussi. Et je connaissais un peu de magie. J'ai réfléchit. Oui, j'ai beaucoup réfléchit. Longtemps. Très longtemps. Ça oui ! Je voulais voir voler des gargouilles. Comme les Clamadinis. Faire vivre les gargouilles. Les faire respirer, et les faire manger. Et les faire aimer aussi. J'ai... Rah !! Trompée ! Oui, trompée, plusieurs fois. Jusqu'à ce que … la gargouille devienne vivante. Qu'elle secoue ses morceaux de pierre, s'ébroue … brrrr … Et qu'elle marche. Comme un petit veau qui vient de naître. Qui titube, tombe. Et sa mère, d'un coup de museau, le relève. Mais les coups de museau ne marchent pas très bien avec les gargouilles. Mais elle s'est relevée. Elle a déployé ses ailes. Sur le toit, là-haut. Elle m'a aimé. Et elle s'est envolée. Mais trompée. Trompée. Trompée... tellement trompée...

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article