Rivemorte, Chap. 107

Publié le par Blanche

ruelle médiévale

 

 

 

Elland se jette à terre. Autour de lui, c'est le chaos. Les fuyards se piétinent, s'écroulent, le ventre ou la gorge transpercés. Les hurlements de douleur résonnent entre les murs. Puis une autre vague de mouvement se dessine rapidement. Les archers ont laissé leur place aux soldats, épée dégainée. Ils jaillissent dans la pièce, tailladant sans pitié les corps proches d'eux.

Thémus fait front et hurle ses ordres. Il croise le fer avec un soldat, qu'il ne tarde pas à désarmer, avant de l'embrocher rapidement. Certains mages se redressent alors. Des boules de feu atteignent les soldats, leur arrachant des cris de douleur. Le tisonnier de la cheminée fend les airs pour se planter dans la poitrine d'un garde, traversant son armure comme s'il s'était agit d'une motte de beurre. Un vent infernal se lève, projetant leurs ennemis contre les murs. Des dizaines d'objets, aussi divers que surprenants, deviennent des armes imparables.

Mais les renforts sont nombreux. Pèire et Thémus défendent chèrement leur vie dans de farouches combats à l'épée. Elland s'est redressé et combat lui aussi, avec toute l'ardeur dont il est capable. Mugissements des soldats. Plaintes des blessés. Acier qui s'entrechoque. La tour semble vaciller sur ses fondements tant ses pierres résonnent.

Le chaos s'installe et se repaît du sang qui macule le sol en terre battue. La Mort fauche joyeusement les âmes, réjouie par cette récolte foisonnante. La douleur s'installe, investit les lieux. Le temps s'est figé et retient son souffle.

Et comme la marée reflue lentement, les cris se taisent peu à peu, faisaient place aux gémissements et aux lamentations. Les chocs des épées se font moins nombreux, jusqu'à disparaître peu à peu. Les survivants regardent autour d'eux, hébétés.

La fosse dans laquelle se sont abîmés le mage qui maniait les tables et ceux qui le suivaient laisse apparaître ses pieux aiguisés, souillés de sang. Ils sont tous morts. De nombreux corps de soldats, disloqués, sont avachis contre les murs, dans des postures improbables.
Les autres sont parsemés au milieu de la pièce et leurs corps prouvent la violence du combat. Il ne reste plus aucun soldat en état de combattre.

Les mages ont été durement touchés et nombreux sont ceux qui abreuvent la terre de leur sang. Toute la puissance de leurs pouvoirs n'a pas suffit à les épargner.
Thémus ruisselle d'un liquide carmin. Ses vêtements lacérés laissent voir ses blessures. Pèire est figé, debout, droit comme un soldat impérial. Sous le choc. Théoliste s'affaire, évidemment, soignant autant qu'il peut les blessés, lui qui a échappé à la morsure de l'acier. Elland reprend doucement son souffle, essayant de discerner, dans la douleur omniprésente, les plaies les plus graves. Plusieurs estafilades sont apparues, mais rien de bien méchant.

Des bruits de pas dans l'escalier. Tous se retournent vivement. C'est Saens, qui les rejoint accompagné par une trentaine de mages. Les ordres de Thémus fendent le silence sépulcral.


- Que les valides aident les blessés. On doit partir.

Elland se dirige aussitôt vers la porte. Il sait qu'il n'est pas capable d'aider qui que ce soit, lui qui peine déjà à tenir debout. Ne pas enterrer les mages morts le chiffonne un peu, mais il comprend : ils ne peuvent pas rester ici plus longtemps.
Et s'il n'y a aucune trace de Jehanne, d'Anthelme et d'Osvan, c'est qu'ils doivent être dans les souterrains. Mais les soldats se sont-ils encombrés d'eux vivants ? Il doit en avoir le cœur net.

Et il lui suffit d'aller jusqu'au premier embranchement pour les découvrir. Anthelme et Osvan sont inconscients. Peut-être morts. Jehanne se débat dans ses liens, un solide bâillon enfoncé dans la bouche. Elland se précipite pour la libérer et, sans écouter son babillage hystérique, palpe les deux corps. Inconscients. Assommé, Anthelme, à en juger par la plaie sanglante sur sa tempe. Osvan n'a sans doute pas encore repris conscience depuis le repaire de Théoliste.

Elland s'écarte, refusant de voir la panique du médecin à la vue du corps inanimé de son compagnon. Il attrape le bras de Jehanne et la presse de les guider dans le dédale. Rester ici est trop dangereux, mais personne ne connaît les plans de ces maudits souterrains.
Pèire apparaît soudain, posant une main apaisante sur l'épaule d'Elland. Et serre Jehanne entre ses bras, si fort qu'il semble l'engloutir. Au mouvement de ses lèvres, Elland devine qu'il lui murmure des paroles réconfortantes, peut-être même ces mots précieux qui guident le monde. Le voleur se détourne à nouveau.

Dans un état second, il voit à peine Pèire passer un bras autour de la taille de Jehanne. Et c'est machinalement qu'il les suit dans les entrailles de la terre.
Des dizaines d'hommes et de femmes sont morts, cette nuit. Ils n'ont toujours retrouvé Ménandre, et même l'aide promise par les mages ne le rassure pas. Ce gamin, qu'il avait juré de protéger, qu'il appré... non, qu'il aime, comme s'il était son propre fils, ce gamin ne peut qu'être mort maintenant. Trop de temps a passé depuis son enlèvement. Et la fuite des mages va faire paniquer Tanorède et tous les puissants de Rivemorte. Les gardes, les patrouilles et les soldats vont fouiller chaque taudis, chaque ruelle à la recherche des traîtres. Et il est plus que probable que les représailles seront impitoyables.

Ils vont devoir disparaître, se faire oublier. Théoliste ira prendre soin d'Anthelme et sans doute d'Osvan aussi. Pèire apprendra à apprivoiser Jehanne. Et lui ? Il restera avec Echidna, présence à mi-temps, à ressasser ses erreurs et sa culpabilité. Il n'est plus assez habile pour continuer ses larcins. Il va devoir s'exiler, survivre dans une ville inconnue. Seul avec une gargouille.

Dans un monde parfait, il aurait trouvé une petite maisonnette, en bordure de ville. La drapière lui confectionnerait des petits plats savoureux, aidée par un Ménandre toujours aussi espiègle. Echidna veillerait à leur bonheur.
Mais il ne sait que trop bien que ce monde n'est pas parfait. Ils ont sauvé les mages, peut-être. Ils ont réparé une injustice, éventuellement. Mais leur petite vie d'avant a volé en éclat. Et Ménandre...

Il cligne des yeux en émergeant au soleil. Certes, ce sont les premiers rayons de l'aube. Mais ils sont à l'air libre. Hors de la ville. Au beau milieu d'une forêt dense.
Hébété, il observe Jehanne, le visage rayonnant de fierté. Pèire, à ses côtés, sourit tendrement. Mais Thémus, après de rapides félicitations, les pousse à avancer encore un peu. Ils sont trop vulnérables, proches de la sortie comme ils sont. Encore un dernier effort.

Ils s'arrêtent finalement après une lieue de marche, dans une clairière où chante une rivière. Thémus, toujours aussi maître de la situation, donne ses ordres. Les blessés sont soigneusement allongés et les valides allument des feux, vont chercher de l'eau.
Théoliste et tous les mages capables de soulager ou de guérir s'affairent. C'est tout naturellement qu'Elland va ramasser des branches mortes, malgré sa fatigue. Mais alors qu'il est accroupi, un bruit de course résonne. Il n'a pas le temps de se retourner qu'il est violemment percuté et s'écroule au sol. La douleur dans son épaule explose. Plus rien.
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