Rivemorte, Chap.70
Déçus par cette recherche qui, au final, n'a pas vraiment fait avancer les choses, ils repèrent les lieux, se promettant de revenir pour chercher encore, puis prennent la direction de la taverne.
S'ils croisent encore de nombreuses patrouilles, ils n'ont cependant pas le moindre problème pour regagner l'Hermine Affamée. Quelques clients sont déjà attablés et Pèire s'affaire derrière le comptoir pour prêter main forte à sa serveuse. Mais dès qu'il les voit arriver, il l'abandonne et se précipite vers eux. Ils vont s'installer à la petite table qu'ils occupaient à midi. Là, Pèire leur explique que Thémus est rentré chez lui, lui laissant le soin de leur raconter le fruit de leur enquête. Et en réalité, il ne lui faut pas beaucoup de temps pour leur expliquer que, malgré leur entêtement, ils n'ont strictement rien trouvé.
Théoliste et Elland, à tour de rôle, se chargent de raconter leur après-midi, tandis que la serveuse leur apporte le dîner. Mais ils ne donnent aucun faux espoir au tavernier. S'ils s'accordent pour dire que c'est une avancée plutôt significative dans l'enquête, ils sont cependant bien conscients qu'ils sont encore loin de mettre la main sur Ménandre.
Puis la conversation dérive sur des sujets moins graves, comme l'avancée de l'enquête de la garde, qui a conclu que le meurtre dans l'impasse était un règlement de compte et qu'ils ne s'en mêleraient plus, les prix qu'ils ont constaté, l'affluence des badauds malgré les patrouilles. Et alors qu'ils terminent leur dîner, le guérisseur et Elland se rendent compte que Pèire, le menton sur la poitrine, s'est tout simplement endormi.
Ils échangent un regard, sourient, mais ne le réveillent pas. La disparition de Ménandre, bien qu'il ne le montre que très peu, l'a énormément touché. Deux jours se sont écoulés depuis : le tavernier ne s'est pas accordé le moindre repos. Alors, discrètement, ils se lèvent et laissent leur ami se reposer. Le guérisseur, regardant sa blessure à la joue, lui tend un pot d'onguent en lui faisant promettre d'en appliquer ce soir et demain matin. Et pour être tranquille, le voleur promet qu'il le fera. Puis Théoliste prend congé, expliquant qu'il passera la soirée avec Anthelme avant de prendre, lui aussi, un peu de repos. Il sera à la taverne assez tôt demain, pour reprendre leurs recherches.
Elland reste un moment immobile, regardant le guérisseur quitter la taverne puis Pèire dormir. Enfin, il se remet en mouvement, va prévenir la serveuse qu'elle ne doit pas débarrasser leur table et laisser le tavernier dormir. Puis il grimpe dans son repaire, où il pose bien en évidence le pot d'onguent pour ne pas oublier d'en mettre.
Le ciel est sans nuages et un maigre croissant de lune éclaire faiblement les toits de la ville. Echidna l'attend, sur le toit, le regard rivé sur lui. Il se faufile habilement par la lucarne et s'approche d'elle avec un grand sourire. Puis, lui grattant l'oreille avec tendresse, il lui raconte l'avancée de l'enquête et lui confie ses craintes et ses doutes. Il est épuisé mais retrouver Ménandre est trop important pour qu'il perde une nuit entière. Et il sait très bien qu'Echidna veillera pour lui s'il s'assoupit pendant le vol. Si elle voit quelque chose d'important, elle le lui signalera.
Il monte sur son dos et sans perdre une seconde, d'un mouvement puissant, elle s'élance dans les airs. Les toits défilent sous eux pendant de longues minutes. Tout est calme en ce milieu de soirée : peu nombreux sont les habitants à oser sortir, sans doute à cause de la vague de meurtres. Sans qu'il n'ait besoin de lui dire, elle se dirige vers l'immeuble qu'ils ont visité dans la matinée. Un mouvement, derrière une fenêtre de l'immeuble voisin, attire leur attention. C'est sans doute l'homme de Thémus, qui surveille les allées et venues. Mais ils ne cherchent pas à s'en assurer de peur d'attirer l'attention sur lui. Echidna se pose un peu plus loin, et durant les quelques minutes de surveillance, ils ne remarquent strictement rien d'inhabituel.
Estimant que l'homme de Thémus serait parfaitement capable de consigner le moindre mouvement suspect, ils repartent pour une longue patrouille au dessus de la ville. S'ils croisent parfois d'autres gargouilles, ils ne prennent cependant pas le temps de s'arrêter. La nuit est déjà bien avancée. Ils n'ont toujours rien vu d'important. Et peu à peu, bercé par le rythme régulier des battements d'ailes, Elland s'assoupit.
C'est un silence oppressant qui le réveille en sursaut. Echidna s'est posée. Mais elle n'est plus en ville. Pire, elle s'est arrêtée au beau milieu d'une forêt sombre. Les arbres autour de lui semblent se tordre de douleur. Quelques nappes de brouillard, résultat de l'orage, cachent le sol et les créatures qui y rôdent et qu'il entend, parfois, chuchoter. Plus loin, dans l'obscurité, incongrue, se dresse une espèce de tour vacillante. Elland frémit et murmure à Echidna qu'il faut absolument partir de cette forêt maudite. Le besoin de fuir est irrépressible, et il s’agrippe de toutes ses forces à l'échine de la gargouille, essayant en vain de l'empêcher d'avancer. Car sa complice, son amie de toujours, l'emmène droit vers cette tour qui ressemble à s'y méprendre aux repaires sinistres de sorcières. Et s'il sait bien que la magie n'existe plus, les nombreuses histoires qu'il adorait entendre, racontées par sa mère, faisaient presque toutes état de vieilles sorcières cruelles. Qui habitaient précisément dans ce genre d'endroit. Alors, magie ou pas, Elland n'a pas du tout l'intention d'aller vérifier si les contes pour enfants recèlent une part de vérité.
Mais étrangement, alors que son cœur bat la chamade et que la panique commence à le gagner, il se sent pris d'une irrépressible envie de dormir. Il secoue la tête, parle d'une voix pressante à Echidna, fait tout pour l'empêcher d'avancer. Mais rien n'y fait. Et alors qu'il allait descendre de son dos et fuir à toutes jambes, qu'importe la direction tant qu'il peut s'éloigner de cet endroit, les battements de son cœur se calment brusquement, et ses paupières, si lourdes, se ferment malgré lui. Et contre son gré, il tombe endormi sur la gargouille.