Rivemorte, Chap.66

Publié le par Blanche

Manoir Clamadinis

 

Elland, marchant seul dans une ruelle quasiment inondée, rythme ses pensées au son du « floc floc » que font ses bottes. Cet appartement désert est très étrange et il a beau retourner le problème dans tous les sens, il ne comprend pas ce qu'il se passe là-bas. Mais une chose lui semble certaine : c'est certainement un lieu de passage pour les hommes de Tanorède, dans lequel ils vont et ils viennent pour accomplir leur sombre besogne. Surveiller cet immeuble, nuit et jour, pourrait sans aucun doute leur permettre de les retrouver et de découvrir ce qu'ils trafiquent.

Au détour d'une rue, une petite silhouette fantomatique le fait soudain s'arrêter. Il cligne plusieurs fois des yeux, pour s'assurer qu'il ne s'agit pas d'une illusion d'optique. Mais la petite silhouette reste parfaitement immobile, détrempée, sous l'abri tout relatif d'un seuil de porte. Et elle le fixe, avec de grands yeux verts qui semblent briller.

Il s'approche à grand pas, découvrant des cheveux de feu dégoulinants d'eau. Il esquisse un sourire en direction d'Osvan et le rejoint sous le porche. Le gamin a le visage fermé et la mine grave. S'asseyant sur la petite marche, Elland lui demande si tout va bien.


- Ça va, oui. Et toi ?
- Ça irait mieux si je retrouvais Ménandre.
- J'ai demandé de partout. Personne n'a rien vu. Personne n'a entendu la moindre rumeur à son sujet. Comme s'il ne s'était rien passé. C'est bizarre.
- Et agaçant.
- Oui. On m'a dit qu'ils avaient trouvé trois hommes dans une ruelle. Tous morts. Il paraît que la garde penche pour une bagarre qui a mal tourné. De toutes façons, ils ne vont pas chercher longtemps : ils ont trop de cadavres sur les bras.
- C'est une très bonne nouvelle. Tant qu'ils nous laissent tranquille...
- Pas vraiment. Ils ont interrogé pas mal d'enfants. Mais ils nous croient quand on leur dit qu'on ne sait rien.

Elland, surpris, le regarde. C'est plutôt étonnant qu'ils ne choisissent pas ces gamins comme coupables idéals. Après tout, ils n'ont pas de famille, personne pour prendre leur défense. Osvan hoche doucement la tête, et répond à la question muette :

- Y'a toujours une dame pour les disputer de nous soupçonner. Et des fois, c'est même un curé qui le fait. Et pis, de toute façon, ils savent bien qu'un enfant ne peut pas cogner assez fort un adulte pour le tuer.

Elland déglutit péniblement. Comment ce gamin peut-il être au courant de tant de choses ? Et comment peut-il parler avec tant de détachement de ces morts ? Pourtant, il a raison, et l'apparence inoffensive des enfants des rues poussent les autorités à les considérer comme un mal nécessaire, qui ne nuit pas vraiment à la sécurité de la ville. Osvan est parcouru d'un long frisson, et Elland ne peut s'empêcher de frissonner à son tour. Il lui murmure :

- Si tu as besoin de quoi que ce soit, passe à l'Hermine Affamée. Théoliste pourra te soigner si tu en as besoin, toi ou d'autres enfants.
- J'ai pas besoin d'aller à l'Hermine Affamée. Je vais chez Anthelme si je suis malade.
- Anthelme ? L'ami de Théoliste ?
- Peut-être. Je ne sais pas. Mais il est très gentil. Il n'aime pas voir des enfants souffrir. Des fois, il s'occupe de nous quand on va pas bien. Et quand il fait très froid, il nous donne de la soupe bien chaude. Et très bonne en plus. Il travaille pas vraiment, enfin, il fait des trucs bizarres avec des plumes et du papier. Et le reste du temps, il nous donne des herbes ou de la nourriture.
- Alors n'hésite jamais à aller le voir, d'accord ? Et va vite te mettre au chaud.

Le voleur regarde sa miche de pain, qui tombe en miettes, gonflée par la pluie. S'il avait songé à la donner au gamin, il peut faire une croix dessus. Soufflant entre ses dents de déception, il se relève. Et, faisant face au gamin, lui promet :

- Quand tu viendras à l'Hermine, je te paierai un somptueux repas.

Le visage grave d'Osvan s'illumine d'un sourire. Elland sourit à son tour, et lui fait un petit signe de la main avant de s'éloigner. Mais son sourire disparaît bien vite. Encore une impasse. C'est impossible ! Ménandre n'a pas pu se volatiliser comme ça, sans que personne ne s'en aperçoive !

Il pleut toujours des cordes lorsqu'il regagne la taverne. Dans la salle principale, quelques clients sont attablés devant leur déjeuner. Un léger brouhaha se fait entendre, mais c'est surtout le bruit des couvert qui couvre le vacarme de la pluie. Une odeur délicieuse flotte dans l'air, donnant au voleur l'eau à la bouche. Il fait un petit signe de la main à Pèire, pour lui montrer qu'il est bien rentré. Puis il monte quatre à quatre les escaliers qui le conduisent dans son repaire. Ses vêtements dégoulinent d'eau, tout comme ses longs cheveux noirs. Il se sèche, se change, et reste un moment à la fenêtre, à regarder la pluie ruisseler sur Echidna. Ont-ils réellement la moindre chance de retrouver le gamin ? Doivent-ils commencer à se faire à l'idée qu'ils ne le reverront jamais ?
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