Rivemorte, Chap.55
Publié le par Blanche
Aucun mot ne parvient à franchir les lèvres d'Elland. Une accolade silencieuse, bien plus forte que les mots, scelle l'amitié de ces deux hommes. Jusqu'à ce qu'un toussotement les fasse s'écarter, honteux de cette profusion de sentiments. Ils se relèvent comme un seul homme et contemplent les lieux dévastés sans faire le moindre commentaire. L'un des hommes de main de Thémus se tient sur le seuil et leur annonce qu'ils sont prêts pour le départ.
C'est un étrange groupe qui surgit du moulin, à la fois disparate et étrangement soudé par les récents évènements. Le gamin roux suit Elland à la trace, ne laissant jamais plus de deux mètres entre lui et le voleur. Aussi, lorsque la question des montures se pose, Elland propose tout naturellement de faire monter le gamin devant lui. Les anciens captifs restant insistent pour prendre les chevaux de bâts. Malgré la situation, Elland ne peut s'empêcher de sourire en imaginant le bedonnant guérisseur sur ces pauvres bêtes. Le convoi s'ébranle déjà et le voleur a bien du mal à saisir les paroles de son jeune passager. Son cœur s'est emballé, pourtant, alors il le fait répéter pour être sûr d'avoir bien compris :
- Tu es un ami de Ménandre, c'est ça ?
- Oui. Tu le connais ?
- Un peu. On se croisait des fois quand il était dans la rue.
- Et depuis qu'il n'y est plus, tu ne l'as jamais revu ?
Un long silence suit cette question. Elland se penche pour ne pas rater une parole et voit distinctement les oreilles cramoisies de son passager. Il tente de rattraper le coup :
- Ce n'est pas une...
- C'est un secret. Il voulait pas que je le dise. Mais... le gros monsieur m'a dit qu'il avait disparu, alors ce n'est plus très important.
- Le gros monsieur ?
- Celui qui a soigné les filles.
- Ah.
- Ménandre, il est gentil.
- Oui, je sais. C'est aussi pour ça que je veux le retrouver.
- Il vient nous voir de temps en temps. Et il s'arrange toujours pour nous trouver les choses qu'on a besoin.
- Comme quoi par exemple ?
- A manger. Et des couvertures. Et pis des sous, des fois. Il dit que son patron lui en donne mais qu'il sait pas trop quoi en faire, alors il nous les donne.
Un large sourire attendri se dessine sur le visage d'Elland quand il comprend soudain pourquoi la cuisinière est de si mauvaise humeur : elle a de quoi enrager, la pauvre, si Ménandre pique régulièrement à manger sans qu'elle puisse le coincer. Mais il revient bien vite au sujet qui le préoccupe :
- Ménandre t'a parlé de soucis qu'il pouvait avoir ?
- Comment ça ?
- Est-ce qu'il aurait vu quelque chose qu'il n'aurait pas dû ? Est ce qu'il aurait pris quelque chose de gênant ?
- Il ne m'a rien dit. Il pique plus rien depuis qu'il est à la taverne. Et pis, il connaît très bien les dangers de la rue. S'il voit quelque chose de pas normal, il tourne le dos et s'en va. C'est comme ça qu'on fait pour être tranquilles.
- Il n'était pas suivi ? Il n'avait pas l'air inquiet ?
- Suivi, non. Il faut beaucoup de détours pour trouver notre endroit. Et c'est surveillé par les petits.
- Les petits ?
Seul un haussement d'épaules répond à sa curiosité. Elland n'insiste pas, il a conscience d'entrer dans le monde très secret des enfants de la rue, qui doivent déployer des trésors d'ingéniosité pour survivre face aux multiples menaces qui les guettent tous les jours. En fait, il a même l'intime conviction que le gamin lui en a déjà trop dit. Pourtant, ce dernier poursuit :
- Et il n'avait pas l'air inquiet. Pas pour lui, ni pour toi. Mais il nous parlait souvent d'une fille qu'il voulait retrouver.
- Maelenn ?
- Oui, c'est ça. Tu la connais ? Tu sais où elle est ?
- Ni l'un ni l'autre. Nous étions justement en train de la chercher quand il a été enlevé.
- Ben c'est peut-être la raison.
- Peut-être. Mais pourquoi ils auraient pris tant de risques ?
- Ça, je ne sais pas. Mais si tu veux, je peux me renseigner.
- Non. Je ne veux pas qu'il t'arrive la même chose que Ménandre.
- Ménandre est mon ami. C'est normal que je veux l'aider.
- Oui. Mais ne prends pas de risque pour autant.
- Je peux demander aux autres enfants s'ils ont vu quelque chose.
- Très bien. Mais qu'ils n'essaient pas de mener l'enquête de leur côté. Je suis très sérieux. Aucune mise en danger, d'accord ?
- D'accord. Et pour que je te donne les informations, il te suffira de trouver un enfant et de lui dire que tu me cherches.
- Et tu t'appelles comment ?
- Osvan.
- C'est noté. Moi, c'est Elland.
- Oui, je sais. Il nous parle de toi, des fois.
- Vraiment ?
- Oui.
- Et il dit quoi ?
- C'est un secret.
Elland bougonne et marmonne entre ses dents, mais le gamin n'en dit pas plus. Et de toutes façons, les portes de la ville sont déjà proches. Le reste du trajet se fait donc dans un silence religieux. Puis ils rendent les montures aux loueurs, avant de se réunir non loin de l'entrée. Les hommes de Thémus sont chargés d'escorter les anciens captifs jusque dans leurs familles respectives. Osvan, lui, n'accepte aucune hospitalité, malgré les offres de Pèire et de Théoliste. Ils cheminent un moment dans les rues de Rivemorte avant que le gamin ne disparaisse soudainement, sans se faire remarquer, comme par enchantement.
Le retour à la taverne se fait dans un silence glacial, chacun essayant de digérer la déception et de juguler son inquiétude concernant Ménandre.
C'est un étrange groupe qui surgit du moulin, à la fois disparate et étrangement soudé par les récents évènements. Le gamin roux suit Elland à la trace, ne laissant jamais plus de deux mètres entre lui et le voleur. Aussi, lorsque la question des montures se pose, Elland propose tout naturellement de faire monter le gamin devant lui. Les anciens captifs restant insistent pour prendre les chevaux de bâts. Malgré la situation, Elland ne peut s'empêcher de sourire en imaginant le bedonnant guérisseur sur ces pauvres bêtes. Le convoi s'ébranle déjà et le voleur a bien du mal à saisir les paroles de son jeune passager. Son cœur s'est emballé, pourtant, alors il le fait répéter pour être sûr d'avoir bien compris :
- Tu es un ami de Ménandre, c'est ça ?
- Oui. Tu le connais ?
- Un peu. On se croisait des fois quand il était dans la rue.
- Et depuis qu'il n'y est plus, tu ne l'as jamais revu ?
Un long silence suit cette question. Elland se penche pour ne pas rater une parole et voit distinctement les oreilles cramoisies de son passager. Il tente de rattraper le coup :
- Ce n'est pas une...
- C'est un secret. Il voulait pas que je le dise. Mais... le gros monsieur m'a dit qu'il avait disparu, alors ce n'est plus très important.
- Le gros monsieur ?
- Celui qui a soigné les filles.
- Ah.
- Ménandre, il est gentil.
- Oui, je sais. C'est aussi pour ça que je veux le retrouver.
- Il vient nous voir de temps en temps. Et il s'arrange toujours pour nous trouver les choses qu'on a besoin.
- Comme quoi par exemple ?
- A manger. Et des couvertures. Et pis des sous, des fois. Il dit que son patron lui en donne mais qu'il sait pas trop quoi en faire, alors il nous les donne.
Un large sourire attendri se dessine sur le visage d'Elland quand il comprend soudain pourquoi la cuisinière est de si mauvaise humeur : elle a de quoi enrager, la pauvre, si Ménandre pique régulièrement à manger sans qu'elle puisse le coincer. Mais il revient bien vite au sujet qui le préoccupe :
- Ménandre t'a parlé de soucis qu'il pouvait avoir ?
- Comment ça ?
- Est-ce qu'il aurait vu quelque chose qu'il n'aurait pas dû ? Est ce qu'il aurait pris quelque chose de gênant ?
- Il ne m'a rien dit. Il pique plus rien depuis qu'il est à la taverne. Et pis, il connaît très bien les dangers de la rue. S'il voit quelque chose de pas normal, il tourne le dos et s'en va. C'est comme ça qu'on fait pour être tranquilles.
- Il n'était pas suivi ? Il n'avait pas l'air inquiet ?
- Suivi, non. Il faut beaucoup de détours pour trouver notre endroit. Et c'est surveillé par les petits.
- Les petits ?
Seul un haussement d'épaules répond à sa curiosité. Elland n'insiste pas, il a conscience d'entrer dans le monde très secret des enfants de la rue, qui doivent déployer des trésors d'ingéniosité pour survivre face aux multiples menaces qui les guettent tous les jours. En fait, il a même l'intime conviction que le gamin lui en a déjà trop dit. Pourtant, ce dernier poursuit :
- Et il n'avait pas l'air inquiet. Pas pour lui, ni pour toi. Mais il nous parlait souvent d'une fille qu'il voulait retrouver.
- Maelenn ?
- Oui, c'est ça. Tu la connais ? Tu sais où elle est ?
- Ni l'un ni l'autre. Nous étions justement en train de la chercher quand il a été enlevé.
- Ben c'est peut-être la raison.
- Peut-être. Mais pourquoi ils auraient pris tant de risques ?
- Ça, je ne sais pas. Mais si tu veux, je peux me renseigner.
- Non. Je ne veux pas qu'il t'arrive la même chose que Ménandre.
- Ménandre est mon ami. C'est normal que je veux l'aider.
- Oui. Mais ne prends pas de risque pour autant.
- Je peux demander aux autres enfants s'ils ont vu quelque chose.
- Très bien. Mais qu'ils n'essaient pas de mener l'enquête de leur côté. Je suis très sérieux. Aucune mise en danger, d'accord ?
- D'accord. Et pour que je te donne les informations, il te suffira de trouver un enfant et de lui dire que tu me cherches.
- Et tu t'appelles comment ?
- Osvan.
- C'est noté. Moi, c'est Elland.
- Oui, je sais. Il nous parle de toi, des fois.
- Vraiment ?
- Oui.
- Et il dit quoi ?
- C'est un secret.
Elland bougonne et marmonne entre ses dents, mais le gamin n'en dit pas plus. Et de toutes façons, les portes de la ville sont déjà proches. Le reste du trajet se fait donc dans un silence religieux. Puis ils rendent les montures aux loueurs, avant de se réunir non loin de l'entrée. Les hommes de Thémus sont chargés d'escorter les anciens captifs jusque dans leurs familles respectives. Osvan, lui, n'accepte aucune hospitalité, malgré les offres de Pèire et de Théoliste. Ils cheminent un moment dans les rues de Rivemorte avant que le gamin ne disparaisse soudainement, sans se faire remarquer, comme par enchantement.
Le retour à la taverne se fait dans un silence glacial, chacun essayant de digérer la déception et de juguler son inquiétude concernant Ménandre.