La Lune

Publié le par Blanche

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Dans un bruissement d'étoffe, Cassandre s'avance dans les sous-bois, serrant soigneusement contre elle un précieux paquet. Elle a revêtu sa longue robe noire en lin, et a glissé dans ses cheveux de jais une myriade de fleurs couleur sang. D'un pas déterminé, elle progresse plus profondément sous le couvert des arbres.

L'odeur entêtante de l'humus rempli l'air et elle s'en délecte, un sourire serein sur le visage. Au loin, une chouette hulule, ultime parade avant un repos bien mérité. La jeune femme suit l'étroit sentier sans hésiter ni se laisser troubler par son environnement, aidée par la lueur de la lune.

Lorsqu'elle débouche enfin sur la clairière, d'autres sont déjà arrivées. Des femmes, uniquement, qui ont toutes revêtu une longue robe noire. Elles forment un cercle, comme pour surveiller les enfants endormis au centre. Quelques flammèches, dansant au dessus des coupelles d'huile, viennent compléter la lueur de la Lune. Cassandre les salue d'un simple geste de la tête, pour ne pas rompre le silence respectueux. Avec douceur, elle dépose son précieux paquet au centre. Des nombreuses étoffes qui le protège de la froideur matinale émergent un nez minuscule, une petite bouche plissée, et deux yeux clos. Puis elle va prendre place dans le cercle, assise sur ses talons, et se plonge dans la méditation.

Lorsque toutes sont arrivées, l'aînée se lève gracieusement et annonce :


- Soyez les bienvenues, mes chères. Nous voici réunies, en cette nuit de Lune du Chêne, pour répondre à l'appel des anciens. Nous avons l'immense honneur de vivre ce moment attendu depuis des centenaires ! Rappelons-nous de leurs paroles !

Une douce mélopée s'élève entre les arbres, reprise par chacune des participantes. Cassandre met tout son cœur et toute sa foi pour répéter les saintes paroles :
« Durant la pleine lune de décembre, entre chien et loup, à l'heure où l'astre de la nuit s'efface pour laisser place à celui du jour, réunissons-nous ! En cette nuit de solstice d'hiver, lorsque notre bien-aimée sera parfaitement ronde dans les cieux, elle se parera de sa robe carmin. Il sera l'heure de vos offrandes, car plus que jamais, la magie habitera la terre. ». Les derniers mots s'éteignent. L'aînée entonne doucement le chant rituel dans un silence absolu : la nature toute entière semble fascinée par cette voix si pure.

Comme dans un rêve, Cassandre reproduit les gestes ancestraux, transmis au fil des générations, pour rendre hommage à la Reine des Cieux. Elle les connaît depuis si longtemps qu'ils en sont presque instinctifs : dans l'air frais, elle trace courbes et symboles avec fluidité. Le hurlement d'un loup qui salue l'aube naissante accompagne la complainte qui se fait sinistre. Comme pour répondre à leur appel, la Lune se teinte doucement de rouge sous leurs yeux émerveillés.

Pour la première fois depuis cinq mille ans, l'éclipse de lune coïncide avec le Solstice d'hiver. La magie est si forte en ces première heures du jour qu'elle semble crépiter autour d'elles. La mélodie prend de l'ampleur, et les paroles mystérieuses se répètent à l'infini entre les arbres centenaires. Elles se relèvent d'un seul et même mouvement, et prennent dans leurs bras les enfants pour le tendre à l'astre. Les adoratrices psalmodient de plus belle, le visage tourné vers les cieux. Une onde bienfaitrice parcourt leurs corps dans un fourmillement enivrant.

Le moment de grâce s'efface lentement, à mesure que le carmin disparaît et que leur déesse s'estompe. Fébrilement, Cassandre défait les étoffes qui réchauffent l'enfant : des marques violacées qui parsemaient son corps ne reste plus rien. Les nombreuses plaies purulentes ont disparu aussi. Autour d'elle, les autres sorcières font les mêmes constats. C'est avec un sourire radieux qu'elles se regardent, avant de rentrer porter la bonne nouvelle aux parents. La Lune, dans sa toute-puissance, a guéri ces enfants qu'on jugeait condamnés.

 

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