L'hiver

Publié le par Blanche

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Thème:
L'Hiver.

Restrictions:

- Le mot Cookie doit apparaître trois fois dans le texte.
- Les mots Hiver et Neige ne doivent pas être utilisés, mais l'un d'entre eux doit faire l'objet d'une description.

 

 

 

Le silence est absolu. Presque. Seul le crépitement des flammes se fait entendre. D'un geste machinal, je tourne le volume de l'antique radio qui trône sur le plan de travail. Toujours du silence, quelque soit la fréquence. Je suppose que les antennes relais fonctionnent toujours, sinon, il y aurait des grésillements, non ? A moins qu'elles aussi aient abandonné.

J'éteins la radio, économisant au maximum les piles. Un léger panache s'élève de la casserole posée devant le four à bois. Le lait est chaud. Un rapide coup d'œil m'apprend qu'il manque encore quelques minutes de cuisson aux cookies que je discerne dans la fournaise. Dire que mes amis et connaissances me ralliaient quand ils ont appris que je souhaitais m'installer dans cette vieille ferme, loin de tout. Les commerces sont trop éloignés, il n'y a rien à faire une fois la nuit tombée et il n'y a jamais personne. Le regrettent-ils désormais ? Peuvent-ils encore regretter quoique ce soit ?

D'un geste sûr, je rajoute de généreuses cuillères de chocolat en poudre dans le bol de lait. Je le laisse près du four, pour qu'il conserve sa chaleur. Le temps que les cookies cuisent, je traverse la cuisine et m'engouffre dans ce qui fut, autrefois, l'écurie de la ferme, attenante au bâtiment principal et à laquelle on peut accéder de l'intérieur. Rhett se faufile entre mes jambes et se précipite dans le coin que je lui ai aménagé. Il n'aime pas plus cette situation que moi, mais nous n'avons pas le choix. Tandis que mon chien de berger se soulage, j'entasse les bûches de bois dans un panier, puis les ramène dans la cuisine. La paille souillée n'a pas la magie de l'herbe fraîche, aussi Rhett ne reste-t-il pas longtemps dans l'écurie avant de me rejoindre. Je ferme avec soulagement la porte qui mène à l'écurie, coupant l'arrivée d'air froid.

Les cookies sont prêts, je les sors avec dextérité du four et les dispose dans une assiette. En me brûlant les doigts, j'en prends deux, que j'émiette soigneusement. Puis, rapidement, j'ouvre la fenêtre et dispose les miettes sur le rebord. Le thermomètre annonce moins vingt degrés. Je referme vivement les battants. Les oiseaux ne tarderont pas à venir. D'où, j'aimerais bien le savoir car je me demande bien comment ils peuvent survivre dans de telles conditions. Plus tard, ils auront des graines, mais je commence à les rationner. Qui sait combien de temps cette situation peut durer.

Avec un soupir de plaisir, je m'affale enfin dans le large fauteuil qui fait face au four. Je le déplace souvent, celui-là. Le soir, il est devant la cheminée, que je n'allume que lorsque la nuit est tombée et que les braises meurent dans le four. Autant économiser le bois. Le bol de chocolat chaud et l'assiette de cookies sont posés juste à côté, sur la petite table. Rhett attend avec impatience que je déclenche les hostilités pour qu'il reçoive sa part. Mais mes pensées vagabondent.

Nous sommes le 20 janvier aujourd'hui. Cinq jours depuis que la radio est muette. Les dernières informations que j'ai pu entendre parlaient du temps, évidemment. De Météo France, qui avait été complètement prise au dépourvu par cette tempête qu'elle estimait « anecdotique ». Ils n'avaient pris conscience de l'ampleur de l'évènement qu'à la tombée des premiers flocons. Les mots « tempête du siècle » et « fin du monde » étaient sur les lèvres de tous les journalistes. Les chiffres tombaient, tous différents, tous terrifiants. Je sais précisément à quelle hauteur la poudre blanche s'élève, devant chez moi. Elle atteint le rebord des fenêtres, soit près d'un mètre soixante. Même s'ils annonçaient des quantités moindre à Paris ou à Lyon, je sais qu'ils tablaient sur un mètre vingt minimum. Impossible de déblayer de telles quantités. Impossible pour le personnel de voirie de se rendre sur leu lieu de travail.

Ça fait cinq jours également que la fée Électricité s'en est allée. Au soleil, sans doute. Garce. C'est à ce moment là que je me suis rendue compte à quel point j'en suis dépendante. Plus de lumière, évidemment. Mais plus d'eau non plus, puisque les canalisations sont dépendantes de l'électricité. Plus de chauffage, pour ceux qui ont des radiateurs. Plus de four, plus de télévision, plus d'ordinateur. Plus de téléphone ni d'internet. Je repense à mes amis, toujours avec leurs Iphone visés à l'oreille. Ils doivent se sentir bien seuls... s'ils ont survécu au froid de leurs appartement et à la faim. Car ils sont adeptes des courses rapides dans la supérette du coin. Ils ont toujours ri de ma manie d'engranger de la nourriture chez moi. Se mordent-ils les doigts maintenant ? Comment se distraient-ils sans télé ni internet ? Leur seule lecture se résume aux prospectus distribués chaque semaine. Je jette un regard reconnaissant à l'épais ouvrage qui m'attend, juste à côté des cookies. Plus tard.

Je me lève et m'approche de la fenêtre. Les oiseaux sont venus, ont vu, ont vaincu. Des miettes, il ne reste plus aucune trace. Mon regard se porte sur l'horizon. Le manteau blanc a tout recouvert. Les barrières, les portails, les voitures, les rues. Ne reste plus que l'immensité immaculée qui a engloutit les buissons et les bancs publics. Un silence irréel s'est posé sur le village. Plus de circulation, plus d'avion, plus de musique en fond sonore. Même la ventilation s'est tue. Un silence mortel. La seule solution, c'est d'attendre le redoux. Que les milliards de flocons sonnent le repli et disparaissent dans les méandres de la terre. Alors nous pourrons faire un bilan, panser nos blessés et enterrer nos morts.

Le gouvernement nous dira qu'il a tiré les leçons de cette crise majeure. Voudra nous faire croire qu'il peut dompter la nature comme on dompte un fauve. Certains les croiront. Ils auront besoin d'y croire. Météo France nous présentera ses excuses, nous promettra des moyens plus performants pour prévoir plus précisément le temps à venir. Ils oublient un peu trop vite qu'ils ne sont pas Dieu.

Je secoue la tête, m'extirpe de mes pensées. Inutile de devenir plus cynique encore que je ne le suis déjà. Je détourne le regard de l'immensité blanche et retourne à mon fauteuil. Quelques cookies manquent dans l'assiette. Rhett est allongé au pied du four à bois, innocent comme l'agneau qui vient de naître. Je souris, ouvre mon livre et grignote un biscuit. Impossible de savoir jusqu'à quand va durer l'occupation, alors autant en profiter pour rattraper le retard de lecture, non ?

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A
<br /> <br /> Texte très riche! Très beau travail!<br /> <br /> <br /> <br />
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B
<br /> <br /> Merci beaucoup ^^<br /> <br /> <br /> <br />